La cote est raide
Lorsque j’ai décidé de jouer « sérieusement » au poker, je savais bien que ça ne serait pas inné. Il fallait donc que je l’acquière, le sérieux. Gros challenge en perspective… C’était pendant les vacances, en plein été. Je prenais un train, encore à l’heure. Je ne devrais donc pas m’en souvenir, d’après la théorie du train en retard que j’ai expliqué auparavant. Mais j’étais en avance. Et ça, c’est un événement assez exceptionnel pour que je m’en souvienne ! Bref, je ne vais pas recommencer le débat.
Je vais donc flâner dans le kiosque à journaux, histoire de trouver un peu de lecture stupide pour occuper mon esprit, qui ne l’est pas moins. Et je tombe sur un magazine de poker genre : comment monter une bankroll « énorme » en partant de zéro. Bingo ! Je m’acquittais des 6 euros demandés, dépense que je considérais alors comme un investissement sur le long terme et qui me rapporterait gros. Du coup, j’en ai profité pour acheter un paquet de chewing gum, 10 dragées, à 2 euros. Je les mâchais par deux, le sourire benêt, assis sur le quai de la gare de Toulon, en feuilletant le magazine qui allait faire de moi une terreur du poker on-line. Pour l'instant, la seule personne qui a peur lorsque je m'assoit à une table virtuelle, c'est ma mère qui craint que je ne dilapide le maigre pécule que je gagne "honnêtement" chaque mois en allant bosser.
Je découvre donc d'abord les stratégies pour débuter avec une bankroll à deux petits chiffres. J'ai sauté l'étape freeroll, trop impatient de devenir millionnaire ! Je me lance dans l'arène, la confiance gonflée comme la poitrine d'un Brésilien du bois de Boulogne, et commence à récolter mes premiers euros grâce à la stratégie du petit tapis et en SNG. Le magazine sur les genoux, je suis scrupuleusement les consignes : mains de départ suivant la position et les relances, montant des relances, jeu postflop... Même si j'ai parfois du mal à jeter mes AJs, je m'y tiens et ma bankroll grimpe. A ces limites, un jeu très basique est largement suffisant.
Puis ma bankroll est passée à trois chiffres. Je fais de plus en plus de MTT et j'ai envie de les gagner. Je tourne les pages du magazine et arrive à la partie "niveau avancé : gestion du tournoi".
Une dizaine de pages remplies de textes et de tableau qui m'ont déconnecté les synapses une par une. Mon cerveau s'est bloqué. Cote du pot implicite et explicite, éventail de mains, le tout analysé en fonction de la position, de l'historique du joueur, de la taille des tapis, de l'avancement du tournoi... Me voilà assis devant un cours de maths... et j'aime pas les maths !
Heureusement, des tableaux récapitulatifs sont là pour faire une partie du boulot à ma place. Il faut dire que je me voyais mal avec ma calculette à côté de la souris, en hurlant parce que je viens de me gourer dans la formule et qu'il faut que je recommence tout alors qu'il me reste 5 secondes pour me décider !
Oui mais c'est tout aussi l'enfer de trouver la bonne page avec le bon tableau auquel de toute façon je n'y comprends rien... Ben oui, on me demande de comparer la cote (genre 4 contre 1), à la probabilité que mes outs tombent (par exemple 30 %). Et moi je ne sais pas comparer 4 contre 1 avec 30 %. Et j'ai pas envie de savoir !
Et si par hasard (parce que là il va en falloir un peu), je me qualifie pour un gros tournoi live, j'imagine la gueule de mes compagnons d'infortune alors que je feuillette tranquillement mon magazine avec la photo du mec à ma gauche en couverture, calculatrice à la main (parce que là j'ai le temps de retaper la formule), pour vérifier que je fais bien de payer son shove avec mon full floppé...
Bref, j'ai remisé le document dans la bibliothèque entre les bouquins de fantasy et j'ai décidé que la cote, c'est moi qui décide si elle est bonne ou pas. Ce n'est certainement pas optimum et rentable mais au moins je JOUE au poker. Je bosse assez par ailleurs.